Protection des vipères sur un chantier des CFF
Ils sont six à fixer la main gantée. Des corps entrelacés, des langues fourchues qui balaient l’air pour prospecter et des regards rivés sur les mouvements de Johan Schürch. L’herpétologue (spécialiste des reptiles et des amphibiens) présente les petits derniers, six bébés vipères (vipereaux) nés début juillet. Ils font partie des 80 serpents actuellement conservés par les spécialistes du bureau Hintermann & Weber. C’est dans un lieu confidentiel et spécialement aménagé qu’ils passeront l’été, contraints de déménager par les travaux sur la ligne CFF Lausanne-Puidoux.
Car le chantier n’affecte pas uniquement les 13'000 voyageurs quotidiens. Les abords de la voie ferrée, qui sera entièrement renouvelée entre les gares de La Conversion et de Grandvaux, abritent de nombreux serpents. Ces derniers aiment se déplacer dans le ballast et les empierrements tout en profitant de l’exposition plein sud. Conscients qu’ils allaient briser, sept semaines durant, ce linéaire minéral indispensable à la mobilité des reptiles, les CFF ont donc décidé de mettre sur pied une opération de préservation.
Protéger aussi les ouvriers
Dans le cadre de l’élaboration du projet, un premier relevé visuel est réalisé sur place, pour confirmer et quantifier la présence de serpents sur le tronçon en question. «C’était une période de l’année moyennement propice à l’observation, au sortir de l’hiver, pourtant nous avons repéré 17 individus. Ce relevé confirmait donc l’importance de ce secteur pour les reptiles», explique Thierry Marchon, chef de projet environnement aux CFF. Le transporteur doit agir pour préserver ces espèces puisque tous les reptiles de Suisse, ainsi que leur habitat, sont protégés par la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage. Il faut aussi garantir la sécurité des centaines d’ouvriers qui doivent se relayer sur le chantier. La grande majorité des serpents observés appartiennent en effet à l’une des deux espèces venimeuses présentes dans le pays: la vipère aspic.
L’opération de préservation est confiée, après appel d’offres, aux biologistes du bureau Hintermann & Weber, plus particulièrement au Dr Sylvain Dubey, spécialiste des reptiles. Ces derniers proposent de les prélever, de les conserver dans un lieu de stockage prévu à cet effet puis de les réintroduire à l’issue des travaux. C’est ainsi que, début avril, ils capturent 56 individus à l’aide de plaques bituminées sous lesquelles les serpents aiment se réchauffer. Depuis, 24 bébés sont nés en captivité. «Ils sont répartis dans des bacs aux dimensions légales et adaptés à leur taille, souligne Johan Schürch. Ils bénéficient de spots chauffants, de cachettes, d’un bac d’eau et nous les nourrissons à raison d’une souris toutes les deux semaines pour les adultes. Nous nettoyons régulièrement les terrariums et apportons des soins quand c’est nécessaire. La température et l’humidité de nos locaux sont contrôlées en permanence.»
Coronelles et couleuvres
Si la grande majorité des individus sont des vipères aspics, le spécialiste présente également des coronelles lisses, inoffensives mais qui ne se gênent pas pour lui mordiller les doigts, et même une couleuvre à collier. «Les vipères aspics sont les plus dépendantes des caractéristiques du milieu et c’était donc les plus fragilisées par l’impact des travaux», précise l’herpétologue.
Pour les CFF, un tel projet de préservation est une première. «Il est justifié par l’ampleur des travaux et par la sensibilité du secteur touché, puisque les serpents y sont nombreux, explique Thierry Marchon, précisant qu’il ne communiquera pas sur les coûts. Dans le cadre de nos projets ferroviaires, les impacts environnementaux sont, de manière générale, de plus en plus pris en compte. Nous évitons par exemple de couper les zones de transit des animaux.» L’expérience du bureau Hintermann & Weber a aussi joué en sa faveur puisque ses herpétologues avaient déjà mis en place un projet similaire avec l’Office fédéral des routes, il y a un an, pour sauver des dizaines de vipères le long de l’autoroute A9.
(sources 24 heures)